Voici un extrait du Cid de Corneille.
La fille du Roi est amoureuse de Rodrigues, Chevalier.
Rodrigues est certes promis à Chimène mais Rodrigue a du provoquer le père de Chimène en duel car le père de Chimène a outragé le père de Rodrigue.
L'infante peut donc espérer retrouver Rodrigues mais Rodrigue n'est pas de son rang.
Alors l'Infante déclare :
Et lorsque le malade aime sa maladie,
Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie !
Acte II, Scène V.
L’INFANTE - (Fille du Roi)
LÉONOR - (gouvernante de l’Infante)
L’Infante.
Hélas ! que dans l’esprit je sens d’inquiétude !
Je pleure ses malheurs, son amant me ravit ;
Mon repos m’abandonne, et ma flamme revit.
Ce qui va séparer Rodrigue de Chimène
Fait renaître à la fois mon espoir et ma peine ;
Et leur division, que je vois à regret,
Dans mon esprit charmé jette un plaisir secret.
Léonor.
Cette haute vertu qui règne dans votre âme
Se rend-elle sitôt à cette lâche flamme ?
L’Infante.
Ne la nomme point lâche, à présent que chez moi
Pompeuse et triomphante elle me fait la loi :
Porte-lui du respect, puisqu’elle m’est si chère.
Ma vertu la combat, mais malgré moi j’espère ;
Et d’un si fol espoir mon cœur mal défendu
Vole après un amant que Chimène a perdu.
Léonor.
Vous laissez choir ainsi ce glorieux courage,
Et la raison chez vous perd ainsi son usage ?
L’Infante.
Ah ! qu’avec peu d’effet on entend la raison,
Quand le cœur est atteint d’un si charmant poison !
Et lorsque le malade aime sa maladie,
Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie !
Léonor.
Votre espoir vous séduit, votre mal vous est doux ;
Mais enfin ce Rodrigue est indigne de vous.
L’Infante.
Je ne le sais que trop ; mais si ma vertu cède,
Apprends comme l’amour flatte un cœur qu’il possède.
Si Rodrigue une fois sort vainqueur du combat,
Si dessous sa valeur ce grand guerrier s’abat,
Je puis en faire cas, je puis l’aimer sans honte.
Que ne fera-t-il point, s’il peut vaincre le Comte ?
J’ose m’imaginer qu’à ses moindres exploits
Les royaumes entiers tomberont sous ses lois ;
Et mon amour flatteur déjà me persuade
Que je le vois assis au trône de Grenade,
Les Mores[109] subjugués trembler en l’adorant,
L’Aragon recevoir ce nouveau conquérant,
Le Portugal se rendre, et ses nobles journées
Porter delà les mers ses hautes destinées,
Du sang des Africains arroser ses lauriers :
Enfin tout ce qu’on dit des plus fameux guerriers,
Je l’attends de Rodrigue après cette victoire.
Et fais de son amour un sujet de ma gloire.
Léonor.
Mais, Madame, voyez où vous portez son bras,
Ensuite d’un combat qui peut-être n’est pas.
L’Infante.
Rodrigue est offensé ; le Comte a fait l’outrage ;
Ils sont sortis ensemble : en faut-il davantage ?
Léonor.
Eh bien ! ils se battront, puisque vous le voulez,
Mais Rodrigue ira-t-il si loin que vous allez ?
L’Infante.
Que veux-tu ? je suis folle, et mon esprit s’égare :
Tu vois par là quels maux cet amour me prépare.
Viens dans mon cabinet consoler mes ennuis,
Et ne me quitte point dans le trouble où je suis.